Pouvoir d’agir : une nouvelle démarche de l’intervention sociale
Le concept pouvoir d’agir est aujourd’hui utilisé dans de nombreux secteurs comme l’éducation, la santé, les ressources humaines, mais aussi et surtout dans le champ social et médico-social. Il fait référence à la possibilité pour les personnes vulnérables de mieux contrôler leur vie, de pouvoir réussir à atteindre des objectifs importants pour elles.
Yann Le Bossé, Docteur en psychologie, se consacre depuis de nombreuses années à ce développement du pouvoir d’agir des individus et des collectivités, et a ainsi développé une nouvelle approche d’intervention sociale. Les travailleurs sociaux ont en effet un rôle crucial dans l’accompagnement des usagers à développer ce pouvoir d’agir. Mais pour y parvenir au mieux, la formation reste essentielle.
Le pouvoir d’agir, c’est quoi ?
Selon Yann Le Bossé, le pouvoir d’agir est « un processus par lequel des personnes accèdent ensemble ou séparément à une plus grande possibilité d’agir sur ce qui est important pour elles, leurs proches ou la communauté à laquelle ils s’identifient. »
L’objectif est ainsi de développer le pouvoir de la personne par rapport à un projet qui a du sens pour elle.
La prise en compte du facteur structurel et individuel
L’approche centrée sur le pouvoir d’agir prend en compte les circonstances individuelles et structurelles qui rendent les personnes vulnérables impuissantes à passer à l’action.
Le pouvoir d’agir d’une personne dépend des possibilités que va lui offrir l’environnement dans lequel elle vit (les lois en vigueur, les aides financières, la situation économique, etc.), mais aussi de ses capacités propres à entrer en action (estime de soi, volonté d’agir, ressources personnelles, etc.). Tous les individus ont une histoire qui leur est propre, et face à un même problème (maladie, chômage, etc.), ils réagissent différemment.
Lutter contre le sentiment d’impuissance
Se sentir incapable de gérer une situation provoque de nombreuses souffrances chez les individus. Cela crée des blocages qui les empêchent d’aller de l’avant, d’agir pour améliorer leur condition. Ils ont le sentiment qu’ils ne peuvent rien faire pour que leur situation s’améliore, et se sentent pris au piège. Ils pensent qu’ils n’ont pas les compétences pour lutter, pour réussir, et cela altère leur rapport à l’action. Leur souffrance détruit leur capacité à agir, et c’est ce qui entraîne le découragement.
Rompre avec le concept de carences
Développer ce pouvoir d’agir en travail social permet donc à la personne accompagnée de lever ces blocages pour qu’elle puisse se remettre en mouvement et concrétiser ses projets. Le professionnel est alors un appui qui va lui permettre de surmonter les obstacles.
Pour ce faire, le travailleur social ne conçoit pas les difficultés comme étant le résultat de carences chez la personne, mais au contraire, se focalise sur les forces, les ressources de l’usager.
Permettre à l’individu d’être acteur du changement
Ce n’est pas par l’inertie qu’un individu peut procéder au changement et se délivrer de ses blocages, s’épanouir. C’est pourquoi il est essentiel de l’aider à maîtriser sa vie en restaurant son statut d’acteur. Cela signifie qu’il est capable d’agir sur les évènements de sa vie qui ont de l’importance pour lui. Si l’individu se sent capable, il est dans une position d’acteur pour construire sa vie. L’action est donc un des éléments essentiels de cette nouvelle approche.
Le travailleur social ne peut pas se contenter de convaincre mentalement la personne qu’elle a des ressources personnelles pour réussir, c’est l’action qui fera comprendre à cette dernière qu’elle a les capacités pour avancer.
Avec cette nouvelle approche, la personne n’est pas stigmatisée, elle est considérée comme une personne capable qui a besoin d’être aidée ponctuellement pour sortir d’une situation compliquée pour elle.
Cette nouvelle approche rompt avec les pratiques sociales traditionnelles qui consistent à infantiliser et stigmatiser les personnes vulnérables. Les professionnels trouvent alors les solutions à la place des personnes accompagnées, et celles-ci peuvent se voir reprocher de ne pas réussir à dépasser leurs difficultés malgré l’aide qui leur est apportée.
Le développement du pouvoir d’agir s’inspire de l’empowerment
C’est à partir de ce constat de l’infantilisation des personnes vulnérables que des praticiens ont souhaité intégrer la notion d’empowerment dans les pratiques sociales. L’empowerment est une des racines du développement du pouvoir d’agir. De nombreuses personnes pensent que le pouvoir d’agir en est la traduction française, mais ce n’est pas tout à fait juste.
Le terme empowerment est apparu aux États-Unis, et fait référence au pouvoir ainsi qu’au mécanisme qui permet à la personne d’acquérir plus de pouvoir. Mais la mise en œuvre de ce concept a été peu réfléchie, notamment sur la manière d’accéder à ce pouvoir.
À l’inverse, le développement du pouvoir d’agir fournit une méthode pour déterminer ce qui pose problème à une personne et comment aller vers le changement en travaillant en collaboration avec elle.
Toute personne dispose d’un pouvoir, il faut simplement l’aider à le développer. Parfois, celui-ci est paralysé chez la personne parce qu’elle vit une situation complexe. L’objectif est d’analyser comment la personne va pouvoir lever ces blocages pour agir de nouveau. Le développement du pouvoir d’agir (DPA) recherche la poursuite d’un projet qui a du sens pour l’individu, et le travailleur social fait en sorte que les conditions soient réunies pour que l’individu y parvienne (objectif par objectif).
Comment faciliter la mise en œuvre du pouvoir d’agir chez les personnes vulnérables ?
Nous l’avons vu, le développement du pouvoir d’agir en travail social permet à l’individu d’être acteur de son changement. Yann Le Bossé distingue plusieurs éléments que le professionnel doit prendre en compte pour que son soutien à la personne accompagnée soit efficace.
Respecter les conditions essentielles au développement du pouvoir d’agir des personnes accompagnées
Le professionnel doit se concentrer sur les freins qui empêchent la personne d’avancer, mais aussi sur le développement de ses aptitudes à s’adapter à ses difficultés et à les dépasser. L’objectif est de savoir ce que veut changer la personne et pourquoi elle souhaite ce changement.
L’intervenant ne doit pas imposer le changement à la personne accompagnée, mais il doit l’aider à prendre conscience de cette nécessité de changer, et réfléchir avec elle aux moyens à mettre en œuvre pour y parvenir. Il ne doit pas prescrire de solutions toutes faites (ne pas faire à la place de la personne), au risque de rendre la personne dépendante, d’autant plus que ces solutions risquent d’être mal perçues car elle sentira que le professionnel ne lui laisse pas le choix. La personne a ses propres solutions. Le travailleur social doit donc recueillir son point de vue et faire émerger ses ressources pour qu’elle puisse en prendre conscience.
Le travailleur social tient compte de l’environnement dans lequel évolue l’usager, mais aussi de son profil quand il intervient pour l’aider à mettre en œuvre ce pouvoir d’agir. Il doit se focaliser sur des problèmes concrets en analysant ce qu’il est possible de faire ici et maintenant. Il ne se préoccupe pas des problèmes antérieurs de la personne.
Il aide la personne à s’autonomiser en lui faisant prendre conscience des circonstances qui l’empêchent d’avancer, et des outils qu’elle peut mettre en place pour éviter de recourir systématiquement à une aide professionnelle et pouvoir gérer elle-même les situations complexes. Cette démarche a pour but d’analyser les solutions tentées par la personne et les conclusions qu’elle peut en retirer. Mais le professionnel doit aussi s’assurer que la personne a les ressources pour agir.
Adopter une posture professionnelle basée sur la négociation
Dans le développement du pouvoir d’agir, le professionnel adopte une posture de négociateur.
Le travailleur social et la personne accompagnée travaillent en partenariat et partent de ce qui a du sens pour elle, de ce qui est important. Le travailleur social doit donc rejoindre la vision du monde de l’autre pour pouvoir construire le projet avec la personne, il ne doit pas s’imposer comme personne expérimentée qui a réponse à tout, mais comme un allié, un appui.
Permettre à l’usager d’atteindre des objectifs accessibles
Le travailleur social ne doit pas placer trop rapidement les personnes en situation d’agir, sinon elles risquent d’échouer parce qu’elles ne sont pas encore prêtes à sauter le pas. Il faut se concentrer sur ce qu’il est possible de faire. Il est donc important de procéder par étapes en commençant par de petits objectifs à atteindre pour que la personne ait conscience qu’elle est capable de réussir, et prenne confiance. Elle peut ainsi continuer sur sa lancée avec des buts plus importants. Elle va s’appuyer sur ses réussites pour se lancer vers d’autres objectifs et accéder au changement. L’expérience réussie donne envie de continuer de lever d’autres obstacles. L’estime de soi est retrouvée. Le professionnel doit lui attribuer les mérites du travail qui a été fait pour que la personne comprenne que c’est elle qui a fait le cheminement.
Quels sont les obstacles au pouvoir d’agir ?
Parfois, il existe des freins au pouvoir d’agir, ce que nous pouvons appeler les empêchements d’agir.
Tout d’abord, si l’accompagnement de l’usager est contraint, le pouvoir d’agir est restreint. Par exemple, les bénéficiaires du RSA sont obligés de rencontrer les travailleurs sociaux. Ces derniers doivent également faire remonter tous les freins à l’action chez la personne vulnérable (à savoir le retour à l’emploi), ce qui peut aboutir à la suppression de ce revenu.
D’autre part, les professionnels du social sont soumis à des procédures dans les prises en charge, qui limitent de façon drastique leur pouvoir d’agir. Souvent, dans les groupes d’analyse de la pratique, les professionnels expliquent qu’ils peuvent se voir reprocher de ne pas avoir suivi la procédure écrite.
Comment aider les travailleurs sociaux à développer ce pouvoir d’agir chez les personnes accompagnées ?
Les professionnels du secteur social et médico-social sont des personnes ressources incontournables pour que l’usager développe son statut d’acteur du changement. Pour autant, les travailleurs sociaux peuvent parfois se sentir démunis face à certaines situations complexes.
Il existe des outils pour les aider à mieux gérer cette nouvelle approche d’intervention sociale.
Avec l’analyse des pratiques professionnelles
L’APP permet aux professionnels de participer à des moments d’échanges de leurs pratiques et ainsi exprimer les difficultés qu’ils sont susceptibles de rencontrer. Ils se retrouvent au sein d’un groupe d’analyse de la pratique (GAP) pour présenter des problématiques concrètes et chercher collectivement des solutions possibles.
Le secteur social et médico-social est particulièrement concerné par cet outil.
Avec la formation continue
Les intervenants doivent s’approprier l’approche sur le développement du pouvoir d’agir pour réussir à prendre du recul et faire l’apprentissage de la posture de négociation.
Chez Epsilon Melia, nous avons créé une formation sur le développement du pouvoir d’agir à destination des professionnels du secteur social et médico-social, pour les aider à mieux appréhender les ressources des familles et à optimiser leur collaboration avec les personnes accompagnées.
Nous vous proposons également une formation sur la désinstitutionnalisation, qui traite également du pouvoir d’agir des personnes handicapées qui souhaitent s’autonomiser vis-à-vis de l’institution.
Epsilon Melia est un organisme de formation continue qui propose depuis plus de 15 ans une pédagogie novatrice afin d’aider les professionnels du social et médico-social à acquérir de nouvelles compétences. N’hésitez pas à nous contacter si vous avez besoin de conseils concernant nos formations.
Nous remercions Cédric Lopez, formateur chez Epsilon Melia, pour les informations précieuses qu’il nous a fournies pour la rédaction de cet article.