Violences sexuelles en ESMS
Le 31 août dernier, Le ministère des Solidarités et de la Santé adressait une instruction aux professionnels et aux directions des ESMS (Établissements Sociaux et Médico-Sociaux) rappelant le droit pour les personnes en situation de handicap à une vie affective, relationnelle, intime et sexuelle. Le phénomène des violences sexuelles en ESMS n’est pas nouveau : dès 2003, les observateurs dressaient un constat alarmant sur les violences infligées aux personnes handicapées. Où en sommes-nous aujourd’hui ? Quelles sont les causes identifiées de maltraitance en établissement ? Quels outils sont à la disposition des professionnels et des usagers ?
Violences sexuelles en ESMS : un sujet déjà ancien et toujours d’actualité
La notion de maltraitance en établissement est apparue progressivement dans les années 1980. Peu à peu, la « loi du silence » qui prévalait a laissé place à une prise de conscience du phénomène et on s’est mis à parler plus fréquemment de la maltraitance envers les personnes handicapées.
Les violences sexuelles dans les établissements et services médico-sociaux ont fait l’objet dès 2003 d’un rapport accablant du Sénat (commission d’enquête sur la maltraitance envers les personnes handicapées accueillies en établissements et services sociaux et médico-sociaux). On peut y lire que « dans les établissements médico-sociaux, il y a bien sûr d’abord les violences sexuelles, qui représentent en moyenne 60 % des maltraitances, voire 70 % chez les mineurs ».
Les chiffres les plus récents montrent que les violences sexuelles envers les personnes vulnérables sont loin d’avoir disparu. Ainsi, une publication du site Handiconnect datée du 17 septembre 2021 rapporte que 35 % des femmes en situation de handicap subissent des violences physiques ou sexuelles de la part de leur partenaire, contre 19 % des femmes dites valides. Près de 90 % des femmes avec un trouble du spectre de l’autisme subissent ou ont subi des violences sexuelles, dont 47 % avant 14 ans. 27 % des femmes sourdes ou malentendantes déclarent avoir subi des violences au cours de leur vie.
Malgré la gravité du constat, la question des violences sexuelles est encore trop souvent balayée d’un revers de la main, enfouie derrière la notion générique de maltraitance.
Qu’entend-on par violences sexuelles ?
Le droit français désigne les violences à caractère sexuel comme « tous actes sexuels commis avec violence, contrainte, menace ou surprise ». Elles sont donc caractérisées par l’absence de consentement de la victime. Ces violences portent atteinte aux droits fondamentaux de la personne. Les violences sexuelles recouvrent différentes formes : agression sexuelle, viol, voyeurisme, harcèlement sexuel… Leurs conséquences sont durables et revêtent des formes multiples : anxiété, trouble du sommeil et / ou de l’alimentation, peurs, culpabilité, dépression, isolement, conduites à risque ou agressives, etc.
Les violences sexuelles donnent lieu à des peines relevant du droit pénal allant jusqu’à vingt ans de réclusion. Les circonstances aggravantes relatives à la victime et à sa vulnérabilité justifient des peines plus lourdes, au motif que l’acte est encore plus intolérable. Le code pénal identifie comme victime aux circonstances aggravantes la « personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse apparente ou connue de l’auteur » (C.pén., art. 222-24, 3°). Du côté de l’auteur des violences, est notamment caractérisé comme circonstance aggravante le fait que celui-ci possède une autorité de droit ou de fait sur la victime ou abuse de l’autorité de ses fonctions.
Violences sexuelles en ESMS : un phénomène aux causes multiples
En établissement, les usagers vivent dans un milieu fermé. Le résident d’un ESMS perd son individualité et son intimité. Cela provoque un terrain d’intrusion et de flou dans les limites. Perçus comme des objets de soin plutôt que comme des personnes, les personnes accueillies deviennent plus vulnérables face aux possibles dérives à caractère sexuel. Le professionnel n’est pas toujours conscient que son action peut être ressentie comme violente. Des actes en apparence sans grande conséquence sont alors banalisés voire institutionnalisés. Les sentiments de non-respect, la contrainte, la domination, le mal-être voire la destruction de la victime passent alors inaperçus. Hormis les agressions émanant d’individus isolés (cas de personnes perverses par exemple), différentes causes sont identifiées comme favorisant l’apparence de violences sexuelles en ESMS :
- le manque de formation du personnel à la vie affective et sexuelles des personnes accueillies ;
- l’absence de projet d’établissement ;
- de mauvaises conditions de management interne ;
- un établissement fermé sur lui-même (peu de prestataires extérieurs, peu de sorties des résidents, absence de travail en réseau et d’évaluation externe régulière) ;
- la méconnaissance des droits fondamentaux des personnes en situation de handicap ;
- la pénurie de personnels conduisant à un épuisement professionnel des soignants ;
la difficulté pour les victimes d’exprimer de manière juste les actes qu’elles subissent (et donc à les caractériser) ;
La nécessité d’outiller équipes et personnes accueillies
Pour mieux détecter les agressions, l’enjeu est non seulement de former les équipes, mais aussi les personnes vulnérables. Pour ces dernières, il s’agit avant tout de leur transmettre une éducation à la sexualité et au refus des violences. Quant aux professionnels, face aux situations de violences à caractère sexuel, ils se trouvent bien souvent démunis : « Que doit-on faire dans des moments pareils ? ». Il est donc urgent de les outiller pour verbaliser et agir en cas de violences, de les aider à adopter la bonne posture professionnelle.
La récente circulaire du 5 juillet 2021 « relative au respect de l’intimité, des droits sexuels et reproductifs des personnes accompagnées dans les établissements et services médico sociaux relevant du champ du handicap et de la lutte contre les violences » laisse espérer un regain d’intérêt des pouvoirs publics pour ces questions. Adressée aux professionnels et aux directions des ESMS, elle rappelle la nécessité de respecter la loi et de lutter contre les violences dont les personnes vulnérables en établissement peuvent faire l’objet. La circulaire mentionne la création et le déploiement de centres de ressources à partir du premier trimestre 2021 dans chaque région pour accompagner les personnes en situation de handicap dans leur vie intime et sexuelle et leur parentalité. L’objectif ? Organiser un réseau d’acteurs de proximité afin que chaque personne en situation de handicap puisse trouver ses réponses, qu’il s’agisse de sa vie intime ou face à des violences subies. Enfin, elle annonce le développement d’une formation en ligne destinée à faire monter en compétences les différents professionnels qui interviennent, notamment dans les établissements et services médico-sociaux.
Quelques outils disponibles en ligne
Des outils d’information et de sensibilisation pour les usagers et les professionnels existent déjà. En voici quelques-uns :
- les fiches-réflexes établies par le ministère des Solidarités et de la Santé sur la conduite à tenir dans les situations de violence en établissements publics, sanitaire et médico-social ;
- le kit de formation : les femmes en situation de handicap ;
- la revue de l’Adapei Var-Méditerranée J’existe et je veux qui aborde tous les sujets relatifs à la vie affective et sexuelle des personnes vulnérables ;
- le numéro de l’association « Écoute violences femmes handicapées » ;
Chez Epsilon Mélia, nous sensibilisons également les professionnels aux questions des violences en ESMS dans le cadre de notre formation « Les personnes polyhandicapées : attachement, relation affective et sexualité ».